Le Garrot pour deux innocents
Le Garrot pour deux innocents, Carlos Fonseca, 2003, 228 p.
C’est à l’aube du 17 août 1963, à la prison de Carabanchel de Madrid, que Joaquin Delgado Martinez et Francisco Granado Gata, deux jeunes militants anarchistes, furent assassinés. Selon le médecin légiste, ils sont morts d’un « traumatisme bulbaire », consécutif à leur exécution à l’aide du sinistre garrot. En la 24e année de la victoire du fascisme en Espagne, la dictature militaire du général Franco s’offrait deux nouvelles victimes.
Joaquin Delgado était le fils d’un cénétiste, exilé en France après la guerre d’Espagne. Francisco Granado était un émigrant économique. Tous deux appartenaient au mouvement anarchiste espagnol. Au début des années 60, la CNT décida de relancer l’action directe en Espagne. Delgado et Granado travaillaient pour le groupe « Defensa interior », qui avait la responsabilité d’organiser les actions menées.
Francisco Granado était arrivé de France pour réceptionner des explosifs devant être utilisées à Madrid, dans un attentat contre Franco. Joaquin Delgado était arrivé quelques semaines plus tard pour organiser le retour de son camarade après l’échec des préparatifs de l’attentat. Mais, avant qu’ils puissent retourner en France, deux charges d’explosifs - déposées par deux autres anarchistes - explosèrent dans la capitale espagnole. Le régime ne pouvait laisser un tel affront impuni et la répression se déchaîna, s’acharnant sur deux innocents. Delgado et Granado sont devenus les Sacco et Vanzetti espagnols. « Ils n’ont pas commis le vol, ni l’assassinat, mais ils étaient anarchistes et de ce fait coupables ». La phrase extraite du réquisitoire contre Sacco et Vanzetti, définit à la perfection, les raisons pour lesquelles Delgado et Granado furent exécutés.
La transition démocratique a imposé un pacte du silence sur la période de la dictature franquiste. À la fin des années 70, les partis politiques de droite et de gauche pensaient qu’il ne fallait pas « réouvrir les vieilles blessures ». Pendant plus de vingt ans le révisionnisme historique a été de mise. Durant la période où le Parti socialiste exerca le pouvoir, puis lorsque le Parti populaire lui succéda, les résistances à toute tentative de réparation morale et économique aux victimes et familles furent permanentes. La réhabilitation de Granado et Delgado est pour leurs compagnons et leur famille un devoir de justice. Pour cela, ils ont créé un Comité pour la révision du procès Granado-Delgado.
À l’heure où sous la pression de la jeune génération l’Espagne ouvre les yeux sur les crimes du franquisme, où les expositions sur l’exil républicain et le franquisme battent des records d’affluence, où les livres sur l’époque font partie des best-sellers, où les fosses communes où furent enterrés à la va-vite les résistants anti-fascistes sont mises au jour, il convient de comprendre les raisons pour lesquelles de jeunes libertaires décidèrent, à l’aube des années 60, de relancer l’action directe en Espagne.
Le livre de Carlos Fonseca n’est pas seulement une enquête à laquelle il a consacré beaucoup d’heures de recherche dans de nombreuses archives et bibliothèques, dans lesquelles il n’a pas toujours été bien reçu. Mais il a aussi recueilli les témoignages de compagnons et de parents des victimes de ce crime légal, avec la volonté de mettre à la lumière tous les faits, dans leurs plus petits détails.
Fonseca nous fait découvrir la triste réalité du peuple durant la « noche negra », la nuit noire de l’Espagne, à une époque où les prisons étaient pleines d’opposants au franquisme, mais aussi à une époque les citoyens espagnols n’avaient aucune possibilité d’intervenir dans la vie politique, toutes les libertés ayant été supprimé au lendemain de la victoire fasciste de 1939.